Publié le: 5 juillet 2019

Renaissance du café en mode bernois

interview – Une fois n’est pas coutume, traversons la Sarine pour retrouver Marc KĂ€ppeli. A la tĂȘte de Blaser CafĂ© Ă  Berne, ce jeune patron reprĂ©sente la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration d’une entreprise familiale florissante. Retour sur un secteur oĂč les dĂ©fis ne manquent pas.

Agent liant, le cafĂ© nous fait franchir des frontiĂšres – linguistiques dans notre cas. A Berne, nous avons rencontrĂ© Marc KĂ€ppeli qui dirige Blaser CafĂ©. A la tĂȘte de l’entreprise familiale et membre de la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration, il nous parle de ce marchĂ© et des enjeux qu’une PME doit affronter Ă  la fois dans l’importation, la torrĂ©faction et la distribution (Blaser CafĂ© SA). Sans oublier le nĂ©goce (Blaser Trading SA), une activitĂ© spĂ©cialisĂ©e oĂč cette entreprise est prĂ©sente depuis les annĂ©es 1970.

Avant l’interview, j’avise une «Rösterei», un Ă©tablissement de torrĂ©faction oĂč l’on sert diverses spĂ©cialitĂ©s de cafĂ©. J’opte pour un double espresso avec un cru colombien dans une gamme «Terroirs».

«Une faute de dĂ©butant», selon Marc KĂ€ppeli: «Avec la pression de la machine, les acides et les notes fruitĂ©es sont surfaits ou trop agressifs. Pour goĂ»ter toute l’ampleur des arĂŽmes, il aurait fallu le prendre en filtre. Pour un double espresso, mieux vaut des cafĂ©s moins typĂ©s.» Je saisis la balle au bond: c’est l’interview sur fond de sacs de cafĂ© du monde entier.

«Avec le filtre, l’eau reste plus longtemps et permet aux arĂŽmes fruitĂ©s et floraux de se diffuser.»

Alors est-ce le grand retour du café filtre dans les prochaines tendances?

Marc KĂ€ppeli: En fait, la renaissance du cafĂ© filtre est encore un micro-trend en Suisse. Il permet prĂ©cisĂ©ment de mieux mettre en valeur les cafĂ©s de terroir qui sont devenus Ă  la mode ces derniĂšres annĂ©es. Avec le filtre, l’eau reste plus longtemps et permet aux arĂŽmes fruitĂ©s et floraux de se diffuser. Nous sommes ici Ă  l’opposĂ© des espressos de type italien dont les senteurs Ă©voquent plutĂŽt le cacao et les tonalitĂ©s amĂšres. Pour les torrĂ©facteurs, une gamme de spĂ©cialitĂ©s offre divers avantages, dont la possibilitĂ© de parler d’une histoire, d’une rĂ©gion, de raconter comment certaines «cerises» sont mises Ă  sĂ©cher sur une litiĂšre spĂ©ciale, voire arrosĂ©es d’une eau lĂ©gĂšrement sucrĂ©e afin de faire ressortir telle ou telle dimension. C’est bien plus Ă©motionnel.

«Pour les torrĂ©facteurs, les spĂ©cialitĂ©s permettent de parler d’une histoire.»

On est tentĂ© de tirer un parallĂšle avec les biĂšres: l’émergence de trĂšs petits acteurs, les sĂ©ries limitĂ©es, le cĂŽtĂ© «Geek» peut s’avĂ©rer limitant, car il est difficile d’accrocher une clientĂšle nĂ©ophile?

Oui, car comme pour les micro-brasseries du week-end, de petits acteurs se sont dĂ©nichĂ©s des machines permettant de torrĂ©fier 200 grammes. Par contraste, notre nouvelle installation permet de prĂ©parer jusqu’à 150 ou 200 kilos! Mais l’attrait pour les spĂ©cialitĂ©s est liĂ© Ă  mon avis Ă  l’envie qu’ont les consommateurs de savoir d’oĂč viennent les produits. Il y a vingt ans, nous mĂȘlions entre 8 et 15 crus pour le mĂȘme produit. Si une rĂ©colte Ă©tait endommagĂ©e, oĂč un cafĂ© manquait, le consommateur ne voyait pas la diffĂ©rence. Tandis qu’aujourd’hui, nous ne mettons plus que trois Ă  quatre provenances diffĂ©rentes dans un mĂ©lange.

Que percevez-vous des différences entre Romands et Alémaniques?

La plus grande rĂ©side Ă  mon avis dans le type de prĂ©paration adoptĂ© par la restauration. Les AlĂ©maniques privilĂ©gient la machine automatique, tandis que les Romands optent d’abord (40-50%) pour une semi-automatique (AlĂ©maniques: 10%). Toutef­ois, le choix d’une machine traditionnelle exige aussi un grand savoir-faire et une maĂźtrise du processus. Si le fait de prendre une machine automatique vous place dans une situation de plus forte dĂ©pendance face Ă  la maintenance, cette solution a aussi des avantages en termes de confort et de puissance.

OĂč en est-on dans le dĂ©bat permanent entre arabica et robusta?

Pas beaucoup plus loin. Si ce n’est que le robusta, c’est dĂ©sormais prouvĂ©, rĂ©siste mieux aux changements climatiques, au soleil et au brunissement des feuilles, cette espĂšce de rouille caractĂ©ristiques. Et aussi face aux champignons, comme l’a montrĂ© le cas de la Colombie oĂč il a fallu presque tout arracher dans l’arabica. Mais ce dernier reste le produit premium qui rĂ©siste aux fortes hausses de prix!

«Les AlĂ©maniques privilĂ©gient la machine automatique et les Romands optent d’abord (40-50%) pour une semi-automatique.»

Vous vous rendez sur le terrain pour voir comment cela se passe?

Oui, bien sĂ»r, dans les plantations oĂč les baies de cafĂ© sont rĂ©coltĂ©es par des familles de paysans, puis livrĂ©es sur des places de rassemble­ment oĂč sont effectuĂ©s Ă©changes et paiements. Ensuite, le cafĂ© est amenĂ© dans des coopĂ©ratives rĂ©gionales afin de sĂ©parer la pulpe du grain, les baies sont lavĂ©es, fermentĂ©es puis rincĂ©es et sĂ©chĂ©es. Le cafĂ© passe ensuite aux exportateurs qui disposent parfois eux-mĂȘmes d’installation de calibrage. Ici, le cafĂ© est passĂ© en machine pour sĂ©parer les petites impuretĂ©s, les pierres. Puis nous le torrĂ©fions et l’emballons.

«Le risque d’une trĂšs forte hausse de prix existe toujours, mais il est assez attĂ©nuĂ©.»

Le secteur financier des «commodities» (matiÚres premiÚres) a pesé trÚs lourd dans le passé sur le prix du café. Quelle est la situation actuelle?

Cela va beaucoup mieux. La situation s’est dĂ©tendue et les prix ont aussi baissĂ©. Cela a permis de compenser les fortes hausses que les marchĂ©s ont connu. Il faut comprendre une chose. Pour nous, le prix du cafĂ© sur les marchĂ©s n’est qu’une indication. Nous travaillons avec les exportateurs, donc nous n’achetons pas de cafĂ© en bourse. Si nous le faisions, nous perdrions alors un contrĂŽle sur la qualitĂ©. Car pour l’essentiel, ce sont des papiers qui circulent et personne ne se soucie du cafĂ© rĂ©el. Donc on peut se voir livrer presque n’importe quoi. Il faudrait ĂȘtre vraiment coincĂ© pour devoir acheter un tel cafĂ©. On disait autrefois chez Blaser que jouer en bourse, c’était jouer avec le diable.

«Nous travaillons avec les exportateurs sans acheter de café en bourse.»

Comment le prix est-il fixé?

Dans la pratique, nous achetons le cafĂ© avec des contrats sur lesquels – pour simplifier – le prix reste ouvert jusqu’à ce que le vendeur livre (ship) sa cargaison. Le vendeur se laisse la possibilitĂ© de fixer lui-mĂȘme le prix. Cela Ă©tant, nous travaillons aujourd’hui avec des instruments de «hedging» qui nous permettent de diminuer le risque de perte en cas de hausse.

Quel est le risque lié au prix dans le contexte actuel?

Disons que dans le contexte actuel, les torrĂ©facteurs sont bien protĂ©gĂ©s. Le risque d’une trĂšs forte hausse existe toujours, mais il est assez attĂ©nuĂ©. De fait, les prix sont stables depuis 2-3 ans, voire en lĂ©ger dĂ©clin. Il n’existe pas non plus de signes d’une chute des niveaux de production, ou d’une trop forte croissance de la demande. La Chine y vient aussi, c’est vrai, mais pour l’instant il s’agit d’une progression lĂ©gĂšre. Rien Ă  voir avec les fortes hausses que l’on anticipait il y a dix ans.

Votre entreprise dispose d’une branche spĂ©cialement affectĂ©e au trading. On sait que 60 Ă  80% des Ă©changes se dĂ©roulent en Suisse. Quelles sont vos ambitions dans cette activitĂ©?

La stabilitĂ©. Notre entreprise a Ă©tĂ© créée en 1922, nous Ă©tions Ă  l’époque de simples torrĂ©facteurs. Dans les annĂ©es d’aprĂšs-guerre, nous avons dĂ©crochĂ© une licence d’importateur. Cela nous a permis de travailler peu Ă  peu pour d’autres acteurs.

Dans les annĂ©es 1970, nous avons lancĂ© une entitĂ© sĂ©parĂ©e pour le trading: Blaser Trading SA. Aujourd’hui, notre idĂ©e n’est pas de grandir, mais de continuer en travaillons comme nous le faisons parfois pour de plus grands acteurs qui utilisent nos services pour des questions de capacitĂ©. Pour croĂźtre sur ce marchĂ©, il nous faudrait des moyens financiers trĂšs importants – et ce n’est pas le but.

«Pour rajeunir notre image, nous avons ouvert il y a quatre ans un bar torréfacteur juste à cÎté de notre entreprise.»

Comment voyez-vous votre dĂ©veloppement – que visez-vous?

Notre PME compte aujourd’hui 80 personnes, dont une soixantaine dans la torrĂ©faction et une vingtaine pour le reste. Dont sept traders qui pour la plupart travaillent avec nous depuis longtemps. Des gens qui se sont formĂ©s en changeant de mĂ©tier, parfois venus d’horizons diamĂ©trale­ment opposĂ©s. Nous voulons aussi rester Ă  Berne et tout le monde le sait que ce n’est pas une capitale du trading. Si nous voulions nous concentrer sur cette activitĂ©, il faudrait dĂ©mĂ©nager Ă  GenĂšve, Lausanne ou Zoug – pour trouver des spĂ©cialistes sur place et optimiser notre fiscalitĂ©! En fait, notre mĂ©tier consiste Ă  travailler comme torrĂ©facteurs Ă  90% en B2B pour les restaurants et les Ă©tablissements hĂŽteliers. Certains hĂŽtels font fabriquer chez nous leur propre marque de cafĂ© chez nous. Nous nous activons aussi sur le secteur parapublic (hĂŽpitaux). Et le catering avec certaines compagnies aĂ©riennes oĂč les volumes sont vite importants, avec Swiss, El Al, Ethiopian Airways.

Comment renouveler sa clientĂšle?

Nous avons sĂ©rieusement dĂ» nous reprofiler sur le marchĂ© actuel en amĂ©liorant la perception de ce que nous faisons. Nous avons d’abord constatĂ© que pour les plus jeunes et les nouvelles gĂ©nĂ©rations, le CafĂ© Blaser ne disposait pas d’une image trĂšs reluisante: elle Ă©tait certes synonyme de compĂ©tence et de haute qualitĂ©, mais elle Ă©tait aussi un peu poussiĂ©reuse et vieillotte. Tout cela faisait un peu «tea-room», si j’ose utiliser cette image!

Nous avons donc beaucoup rĂ©flĂ©chi Ă  ce qu’il fallait faire. Et puis, l’idĂ©e est venue d’ouvrir un bar torrĂ©facteur, juste Ă  cĂŽtĂ© de notre entreprise. C’était il y a quatre ans. Comme ça marchait, nous en avons ouvert un deuxiĂšme Ă  la Gare de Berne – avec la boulangerie Reinhard. Nous aimerions Ă©galement en placer un au centre-ville. Sinon, nous voulons poursuivre notre expansion dans les portions de cafĂ© – nous ne pensons pas que de dĂ©velopper un systĂšme de capsule soit une bonne idĂ©e face aux poids lourds du marchĂ©. Pas envie de faire du «suivisme» non plus!

Un bout d’avenir rĂ©side dans les formations que nous donnons. Aux restaurateurs, mais aussi aux particuliers. Certains souhaitent acquĂ©rir la machine Ă  cafĂ© de leur rĂȘve et sont prĂȘts Ă  y mettre le prix. Il faut les former et nous sommes lĂ  pour leur permettre de devenir de vrais «baristi».

Propos recueillis par

François Othenin-Girard

en suisse romande

Du mouvement dans la branche du café

La Semeusea annoncĂ© Ă  La Chaux-de-Fonds qu’elle avait passĂ© un accord avec le groupe de boulangeries et de tea-rooms Pouly. Ce qui devrait lui permettre, explique-t-on dans les mĂ©dias rĂ©gionaux (L’Arc), d’écouler une dizaine de tonnes de cafĂ© supplĂ©mentaire par annĂ©e. La Semeuse torrĂ©fie entre 1500 et 2000 tonnes de cafĂ© par an Ă  La Chaux-de-Fonds.

Eversys est une autre PME qui a signĂ© avec Pouly. Cette valaisanne occupe le crĂ©neau des machines Ă  cafĂ© de luxe sur mesure. «Eversys, c’est la Tesla des machines Ă  café», s’enthousiasme Canal 9. Un produit dont le prix peut atteindre 36 000 francs, exportĂ© dans le monde entier. Jusqu’ici, la sociĂ©tĂ© confectionnait ses machines Ă  cafĂ© Ă  Ardon, au cƓur du Valais. «Eversys quittera Ardon pour Ă©tablir son usine d’assemblage Ă  Sierre, dans la nouvelle zone industrielle de Daval.» Il est prĂ©vu d’y crĂ©er une vingtaine d’emplois.

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