Victoire dâétape: les interventions étatiques doivent être davantage motivées
A offrir: les clés du Vieux Genève
PASSION â AndrĂ©as JĂ€ggi fut menuisier, tapissier, antiquaire et expert. A 80 ans, il souhaite cĂ©der sa prestigieuse collection de 1602 «sĂ©sames» Ă laquelle il a consacrĂ© toute son Ă©nergie depuis 50 ans.
A 80 ans, AndrĂ©as JĂ€ggi ne manque ni de verve, ni de ressort. Mais surtout, il a toutes les clĂ©s en main. Ce Genevois aux origines bernoises (Madiswil) contacte le Journal des arts et mĂ©tiers pour nous parler de son incroyable collection. ConstituĂ©e dâune sĂ©rie de 1602 clĂ©s en fer forgĂ©, artisanales et pour la plupart fabriquĂ©es Ă la main, cette derniĂšre ouvre les portes du Vieux GenĂšve du 12e au 20e siĂšcle. Pour des raisons dâĂąge et de santĂ©, cette collection unique est Ă remettre. «Vous ne serez pas déçu», glisse-t-il au tĂ©lĂ©phone, en prĂ©ambule Ă notre visite.
Un gamin bricoleur
PlacĂ© en orphelinat Ă lâĂąge dâun mois, AndrĂ©as JĂ€ggi est nĂ© en juillet 1939. LâEurope entiĂšre plonge dans la guerre. Lâenfant est dĂ©placĂ© dâune institution Ă lâautre, la Petite MaisonnĂ©e Ă GenĂšve, Moriga (BE), puis Neuhaus, DelĂ©mont et Courtelary. Le gamin qui bricole apprend un mĂ©tier, menuisier, puis un autre, tapissier dĂ©corateur (diplĂŽme fĂ©dĂ©ral). Il devient architecte dâintĂ©rieur. Ses talents de vendeur font de lui une pointure Ă une Ă©poque bĂ©nie des dieux de lâameubleÂment. Dans la foulĂ©e, il devient antiquaire et exerce comme expert dans cette branche.
Mais sâil est connu Ă GenĂšve, oĂč il rĂ©side avec son Ă©pouse, câest aussi en raison du combat quâil a menĂ© durant quarante ans face Ă la justice pour prouver que son pĂšre supposĂ© Ă©tait bien son pĂšre naturel. «GrĂące Ă moi, la loi a changĂ© pour la reconnaissance de la paternitĂ©, mĂȘme si aucune femme ne mâa jamais remerciĂ© pour cette percĂ©e», ironise-t-il. A trente ans, il se glisse dans la peau dâun collectionneur. «Tout a commencĂ© avec un seau oĂč lâon jetait les clĂ©s aprĂšs avoir changĂ© les serrures, raconte-t-il. Jâai commencĂ© Ă les nettoyer, Ă les polir et Ă les troquer, Ă en dĂ©nicher dâautres dans les brocantes. Des collĂšgues et des amis mâen ont apportĂ©s â au grĂ© des circonstances.»
La clé genevoise: totémique
Aujourdâhui, AndrĂ©as a cadenassĂ© la collection. «Jâai choisi de mâen tenir Ă 1602 exemplaires â ce chiffre correspond bien sĂ»r Ă la date de lâEscalade.» Un symbole de libertĂ© cĂ©lĂ©brĂ© chaque annĂ©e religieusement Ă GenĂšve: la victoire des troupes protestantes contre lâarmĂ©e du duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier qui tenta de prendre la ville au moyens dâĂ©chelles en bois dĂ©montables.
La clĂ© genevoise est un objet totĂ©mique. On la retrouve partout, dans les vitrines des chocolatiers, Ă©voquĂ©e par le monde de la bijouterie et de lâhorlogerie, emblĂšme sacrĂ© de certaines confrĂ©ries. Et bien entendu sur les armoiries de la Ville et du Canton, en rĂ©fĂ©rence Ă lâapĂŽtre St-Pierre, patron de lâEglise de GenĂšve et de la CathĂ©drale de la ville.
Une grande clĂ© est mĂȘme pendue Ă la flĂšche de la Tour du Molard, apparemment en souvenir dâun traĂźtre qui, en cette mĂȘme annĂ©e 1602, fut pris en flagrant dĂ©lit, alors quâil sâapprĂȘtait Ă trahir sa ville en les cachant dans le ventre dâune⊠dinde destinĂ©e Ă lâennemi savoyard («Le Temps», 10.7.2017).
Pour le sourire de Regina
«A La Clef dâOr», câest aussi le bien-nommĂ© magasin dâantiquitĂ©s quâAndrĂ©as JĂ€ggi a repris en 1992. Toujours cette clĂ©, quâau bout du lac, on prĂ©fĂšre orthographier avec un «f». Lâantiquaire privilĂ©gie lui aussi la vieille orthographe de «clef». Son slogan, câest «Prestige, Tradition et Qualité».
En ce jour de fĂ©vrier 2020, une lumiĂšre voilĂ©e, printaniĂšre et mystĂ©rieuse, baigne la rue RenĂ© Louis Piachaud. Il nous y accueille avec son Ă©pouse bernoise Regina â quel magnifique sourire que celui de cette ancienne championne de patin Ă glace! Tous deux Ă©voquent ses heures de lumiĂšre, notamment dans le spectacle dâHoliday on Ice. Le couple pose Ă lâentrĂ©e du magasin (qui nâest pas fermĂ© Ă clĂ©, ce jour-lĂ ).
LâĂ©choppe est plongĂ©e dans lâobscuritĂ© et pas chauffĂ©e. VĂȘtu de grands manteaux, mes hĂŽtes racontent leur trajectoire. Parlent des travaux titanesques quâil a fallu faire en entrant. Ce magasin pour lequel il recherche aujourdâhui un repreneur.
Le festival des clés
Muni dâune torche Ă©lectrique, AndrĂ©as JĂ€ggi fait Ă©merger la collection des tiroirs (sans clĂ©s) de deux meubles anciens. Le spectacle commence. De la plus petite (de la taille dâune piĂšce de cinq centimes, pour un coffre Ă bijoux) Ă la plus grande (30 centimĂštres), du 12e au 20e siĂšcle, toutes ont ouvert quelque chose: certaines en solennitĂ© les portes de la CathĂ©drale, dâautres dans un silence huilĂ© des coffres-forts pleins de secrets, les portes dâaustĂšres maisons calvinistes, dâune ConfrĂ©rie franc-maçonnique et de lâOrdre de Malte. Sans oublier les synagogues, les caves et les galetas, les prisons.
Plus on progresse, plus les tiroirs sont lourds. Certains renferment du pur insolite: cette clĂ©-pistolet (un seul coup, mais mortel!) eut plu Ă Agatha Christie. On y aperçoit un modĂšle pour les mariĂ©s â qui ne se quittent jamais; plusieurs modĂšles de poche se replient pour prendre moins de place dans les sacs Ă main des dames. On nâoubliera pas le modĂšle du geĂŽlier, dotĂ© de deux bouts (pannetons) utilisables pour deux serrures diffĂ©rentes.
Le rite du collectionneur
Brandissant trois clĂ©s du 12e siĂšcle, AndrĂ©as JĂ€ggi a instaurĂ© un petit rituel pour ses visiteurs qui les prennent en main et formulent un vĆu. Si la collection dit quelque chose Ă propos du collectionneur, celle dâAndrĂ©as JĂ€ggi se raconte aussi dâelle-mĂȘme. Chacun des 1602 «sĂ©sames» est authentifiĂ©, dotĂ© dâun sceau, dâun ruban rouge et jaune aux couleurs du Canton de GenĂšve, dâune petite Ă©tiquette mĂ©tallique sur laquelle sont gravĂ©s en lettre dâor lâusage et lâĂ©poque. Et dâune Ă©tiquette pour le prix.
«ClĂ© de voĂ»te» de cette collection: deux anciennes clĂ©s judaĂŻques du 18e siĂšcle, extrĂȘmement rares et dont le prix est estimĂ© Ă 7,2 et 9,9 millions de francs. Pour le reste, toute la collection, spĂ©cimen aprĂšs spĂ©cimen, a Ă©tĂ© expertisĂ©e par deux spĂ©cialistes. Le premier, Jean-Josef Brunner de Lyss, expert en clĂ©s anciennes ayant publiĂ© de nombreux ouvrages et qui travaille comme expert pour les musĂ©es. Le second, Jean-Pierre Gillieron, «ancien professeur au Centre dâenseignement professionnel technique et artisanal (CEPTA) durant 27 ans et MaĂźtre Serrurier Ă son compte depuis 64 ans».
«AprĂšs une Ă©tude approfondie sur place, cette collection est rarissime et reprĂ©sente une grande valeur historique pour le canton de GenĂšve», Ă©crit Jean-Josef Brunner. Et de conclure que son intĂ©rĂȘt rĂ©side Ă©galeÂment dans sa «grandeur», dans sa «diversitĂ© exceptionnelle», «le fruit de plusieurs dizaines dâannĂ©es de recherche». Et quâĂ sa connaissance, il nâa «jamais vu une telle collection».
Deux clés judaïques rarissimes
Chaque clĂ© a son prix. «La valeur totale de la collection sâĂ©lĂšve Ă 45 millions de francs, dĂ©taille AndrĂ©as JĂ€ggi. Je souhaite toutefois la donner dâune seule piĂšce, Ă un musĂ©e, une fondation, une sociĂ©tĂ© qui souhaiterait nous aider Ă valoriser ce patrimoine. Et surtout Ă©viter que les clĂ©s partent aux enchĂšres et que la collection soit dispersĂ©e.»
En revanche, les deux clés judaïques seraient vendues ensemble. Le prix de vente de ces derniÚres reste à définir entre les deux parties.
«AprÚs votre visite, précise en souriant le collectionneur au téléphone, toute la collection est retournée en lieu sûr à la banque.» Un établissement dont il ne possÚde (malheureusement) pas les clés!
François Othenin-Girard
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